Libertés individuelles
L’employeur et le domicile du salarié
Les questions relatives au domicile du salarié pourraient se multiplier avec la pérennisation du télétravail dans de nombreuses entreprises. L'employeur a-t-il un droit de regard sur le choix de son domicile par le salarié ? Peut-il imposer à un salarié d'utiliser son domicile pour le travail ? Éléments de réponse.
Liberté et restrictions
Restriction à liberté de choix du domicile justifiée et proportionnée. - Le salarié, comme tout un chacun, est libre de choisir son domicile. Il a aussi droit au respect de son domicile. Toute restriction à cette liberté ou à ce droit doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, art. 8 ; c. trav. art. L. 1121-1 ; cass. soc. 23 septembre 2009, n° 08-40434, BC V n° 190).
En théorie, l'employeur peut donc imposer à un salarié d'installer son domicile dans tel ou tel lieu s'il peut démontrer que l'atteinte ainsi portée au libre choix de son domicile par le salarié est justifiée et proportionnée. Mais en pratique, les situations où les juges reconnaissent que tel est bien le cas sont extrêmement rares.
Exemple
Un cadre commercial conservait chez lui pour son travail une collection de bijoux appartenant à l'entreprise. À la suite de plusieurs agressions à son domicile, l'employeur lui avait demandé de déménager dans un département où son assureur accepterait de garantir les sinistres survenant au domicile. Le salarié refusant, il a été licencié pour faute grave. Ce licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse car l'employeur n'avait pas démontré que l'atteinte au libre choix de son domicile par le salarié était justifiée et proportionnée (cass. soc. 23 septembre 2009, n° 08-40434, BC V n° 190).
Restriction au nom de l'obligation de sécurité. - Selon la cour d'appel de Versailles, l'obligation légale de l'employeur d'assurer la sécurité des travailleurs peut justifier l'atteinte à la liberté du salarié de choisir son domicile (c. trav. art. L. 4121-1 ; CA Versailles du 10 mars 2022, n° RG 20/02208). En l'espèce, un salarié qui était employé en région parisienne avait déménagé en Bretagne, à 442 km de l'entreprise. L’employeur considérait que son nouveau temps de trajet (4h30 par la route ou 3h30 de train) était incompatible avec son obligation légale de sécurité. De plus, ses fonctions nécessitaient qu'il prenne l'avion en Ile-de-France. L'employeur avait donc demandé au salarié de rétablir son domicile à proximité de l'entreprise puis il l'avait licencié à la suite de son refus. Ce licenciement a été validé par la cour d'appel de Versailles.
Cette solution est à notre sens à prendre avec prudence. Il n'est pas certain, en effet, que la Cour de cassation la validerait car les juges d'appel font jouer l'obligation légale de sécurité au-delà du temps et du lieu de travail. Une autre question aurait pu selon nous être posée : le salarié pouvait-il continuer à travailler à la hauteur de ce qu'on attendait de lui du fait de son nouveau temps de trajet ? À notre connaissance, un pourvoi en cassation a été formé. Une affaire à suivre donc.
Domicile et contrat de travail
Clause de résidence valable sous conditions. - Il est permis d'inscrire dans un contrat de travail une clause imposant au salarié de résider à proximité de son lieu de travail. Mais cette clause doit être justifiée et proportionnée (voir ci-avant), ce que les juges n'admettent que rarement voire jamais (voir tableau d'exemples).
Clauses de résidence nulles (exemples) |
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À titre d'exemple, était nulle la clause imposant : -à un employé d’immeuble de résider dans l’ensemble immobilier dont il avait la charge dès lors qu’il pouvait exécuter ses tâches tout en résidant à l’extérieur du lieu de travail (cass. soc. 13 avril 2005, n° 03-42965, BC V n° 134) ; -à un salarié chargé d'entretien et de maintenance de loger sur place alors qu'il avait exécuté ses fonctions sans perturbation pendant près d'une année tout en étant logé ailleurs que sur son lieu de travail (cass. soc. 12 novembre 2008, n° 07-42601 FD) ; -à un avocat salarié de fixer son domicile au lieu d’implantation du cabinet avec pour seul motif une « bonne intégration de l’avocat dans l’environnement local » (cass. soc. 12 juillet 2005, n° 04-13342, BC V n° 241). |
Mutation avec changement de résidence. - À notre sens, l'employeur ne peut pas sous couvert d'une clause de mobilité imposer un changement de domicile à un salarié. Par définition, une clause de mobilité donne le droit à l'employeur d'imposer un changement de lieu de travail au salarié mais pas de lui imposer de déménager sans avoir à justifier une telle décision ni démontrer qu'elle est proportionnée (voir ci-avant ; voir Dictionnaire Social, « Clause de mobilité »). Par ailleurs, le refus du salarié de respecter une clause de mobilité impliquant en changement de résidence et de région ne justifie pas à lui seul son licenciement. Encore faut-il que le motif à l'origine de cette modification du contrat de travail constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (cass. soc. 4 juin 2008, n° 07-40612 FD ; voir Dictionnaire Social, « Modification du contrat de travail »).
La donne est différente si la clause de mobilité prévoit aussi un changement de résidence, mais dans ce cas la clause doit être justifiée et proportionnée pour être valable (cass. soc. 12 janvier 1999, n° 96-40755, BC V n° 7).
Domicile et lieu de travail
Accord du salarié pour l'utilisation de son domicile. - Si l’employeur souhaite qu’un salarié utilise son domicile à titre professionnel, il doit d'abord le lui demander. Le salarié n’est en effet tenu ni d’accepter de travailler à son domicile ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail (cass. soc. 7 avril 2010, n° 08-44865, BC V n° 86). Si le salarié accède à la demande de l'employeur, il a droit à une indemnité au titre de l’occupation de son domicile à des fins professionnelles dans le cas où aucun local professionnel n’est effectivement mis à sa disposition (cass. soc. 12 décembre 2012, n° 11-20502, BC V n° 339).
Éligibilité au télétravail et caractéristiques du domicile. - Lorsque les caractéristiques du domicile sont des critères d'éligibilité au télétravail, l'employeur doit à notre sens veiller à ne pas créer d'inégalité ou de discrimination entre les salariés. Le lieu de résidence est, en effet, un critère discriminatoire prohibé (c. trav. art. L. 1132-1). Par exemple, exiger une pièce dédiée privilégierait des personnes au détriment d'autres (« Installer le télétravail dans la durée ? », rapport ANACT, p. 34, nov. 2021).
Lieux de télétravail. - Le télétravailleur effectue son travail hors des locaux de l'entreprise mais pas nécessairement à son domicile (c. trav. art. L. 1222-9).
L'accord collectif ou la charte qui met en place le télétravail peut toutefois contenir des clauses relatives aux lieux de télétravail. En pratique, certains accords ou chartes autorisent tous les lieux de télétravail (résidence habituelle ou secondaire du salarié, espaces de co-working ou autres lieux tiers) en posant toutefois des conditions (ex. : distance par rapport à l'entreprise). D'autres accords les limitent, sachant que 49 % des accords circonscrivent le télétravail au domicile du salarié (« Benchmark, accords de télétravail », p. 25, mars 2022, Réalités du dialogue social et ORSE).
En tout état de cause, le lieu choisi doit permettre le télétravail (ex. : accès internet sécurisé). Attention, si le télétravail « complet » à domicile a été inscrit dans le contrat de travail, l'employeur ne pourra obtenir du salarié qu'il revienne travailler dans l'entreprise qu'avec son accord préalable (cass. soc. 12 décembre 2000, n° 98-44580, BC V n° 417 ; CA Lyon 10 septembre 2021, n° 18/08845).