Harcèlement
Harcèlement : victimes et témoins protégés, jusqu’où ?
Le salarié qui relate un cas de harcèlement au travail dont il a été victime ou témoin est protégé. Encore faut-il que ce témoignage ait été donné de bonne foi. Faute de quoi, la protection « tombe » et l’employeur retrouve son pouvoir de sanction.
Protection des victimes et témoins de harcèlement
Victimes. - Il est formellement interdit de sanctionner, licencier, ou discriminer directement ou indirectement un salarié (ou une personne en formation, en stage ou encore un candidat à un recrutement) qui a subi ou a refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou des faits de harcèlement sexuel, y compris, dans ce dernier cas, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés (c. trav. art. L. 1152-2 et L. 1153-2).
Témoins. - Un salarié ne doit pas être sanctionné, licencié ni discriminé pour avoir témoigné d’un harcèlement moral ou sexuel, ni pour avoir relaté de tels agissements (c. trav. art. L. 1152-2 et L. 1153-3).
Sanctions encourues par l’employeur. - Une sanction, un licenciement, une discrimination directe ou indirecte motivé par la dénonciation d’un harcèlement dont le salarié a été victime ou témoin, alors que sa mauvaise foi n’est pas établie, est nul (c. trav. art. L. 1152-3 et L. 1153-4).
L’intéressé, victime d’un licenciement nul, peut demander sa réintégration dans l’entreprise ou, à défaut, obtenir, en plus des indemnités de rupture, une indemnité d’un montant au moins égal à 6 mois de salaire (cass. soc. 27 juin 2000, n° 98-43439, BC V n° 250). Celui victime de pratiques discriminatoires prohibées a droit, en plus de dommages et intérêts, à être placé dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n’avait pas eu lieu (cass. soc. 23 novembre 2005, n° 03-40826, BC V n° 332).
Protection exclue en cas de mauvaise foi
Seul le salarié de bonne foi est protégé. L’interdiction de sanctionner une victime ou un témoin de harcèlement connaît une limite, celle de la mauvaise foi.
S’il apparaît que la victime ou le témoin a relaté des faits de harcèlement en sachant pertinemment qu’ils étaient faux, l’employeur retrouve son pouvoir de sanction (cass. soc. 18 février 2003, n° 01-11734 D ; cass. soc. 6 juin 2012, n° 10-28345, BC V n° 172). Ainsi, le salarié qui dénonce un harcèlement moral de mauvaise foi peut être sanctionné, voire licencié si les faits le justifient (cass. soc. 28 janvier 2015, n° 13-22378 D).
Démêler le vrai du faux. - Pour distinguer la bonne foi de la mauvaise foi, les juges vérifient si la dénonciation est mensongère (pour des exemples, voir tableau). En d’autres termes, il y a mauvaise foi car le salarié connaît la fausseté des faits qu’il dénonce (cass. soc. 10 juin 2015, n° 13-25554 FSPB). La mauvaise foi procède ainsi d’une intention malveillante de son auteur, qui, par exemple, cherche à nuire à des collègues en les accusant à tort (cass. soc. 6 juin 2012, n° 10-28199, BC V n° 173).
En revanche, la mauvaise foi du salarié ne peut pas se déduire de sa seule volonté de déstabiliser l’entreprise (cass. soc. 25 juin 2015, n° 14-10217 D).
Articulation avec la liberté d’expression. - La dénonciation de faits de harcèlement peut parfois se situer à la frontière de la liberté d’expression dont le salarié dispose sous réserve d’abus [voir Dictionnaire Social, « Expression (liberté d’) »]. Pour autant, il n’y a pas d’abus du seul fait que les agissements imputés à l’employeur sont majoritairement infondés (cass. soc. 29 septembre 2010, n° 09-42057 D).
Par ailleurs, en l’absence de mauvaise foi du salarié, les juges n’ont relevé aucun abus dans l’exercice de la liberté d’expression dans le fait :
- de faire irruption dans la salle du conseil d’administration, pour y distribuer une lettre mettant en cause la supérieure hiérarchique et dénonçant un harcèlement moral à son égard (cass. soc. 19 octobre 2011, n° 10-16444, BC V n° 234) ;
- d’avoir adressé à deux associations copie d’une lettre reprochant des agissements de harcèlement à l’employeur (cass. soc. 31 mars 2010, n° 07-44675 D).
Mauvaise foi non avérée : licenciement nul. - Le licenciement d’un salarié accusant à tort son employeur de harcèlement sera jugé nul si l’employeur ne prouve pas que cette dénonciation avait été faite de mauvaise foi (cass. soc. 10 juin 2015, n° 13-25554 FSPB).
À noter
À noter : De même, la dénonciation infondée d’un harcèlement moral et sexuel de la part d’une apprentie, sans que sa mauvaise foi ne soit établie, ne justifie pas la résiliation judiciaire du contrat d’apprentissage à ses torts (c. trav. art. L. 6222-18 ; cass. soc. 10 juin 2015, n° 14-13318 FSPB).
Harcèlement non établi : la protection joue
La protection accordée à la victime et au témoin de harcèlement s’applique même si, au final, les faits dénoncés ne sont pas établis (cass. soc. 27 octobre 2010, n° 08-44446 D).
-La victime ou le témoin ne peut pas être sanctionné s’il s’avère que les faits dénoncés ne constituent pas du harcèlement moral (cass. soc. 29 février 2012, n° 10-23710 D).
-Le salarié est ainsi protégé s’il fait une erreur d’appréciation, dès lors que ses accusations ne sont pas mensongères. ✖
Harcèlement : exemples de mauvaise foi du salarié |
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Mauvaise foi établie |
- Salariée ayant dénoncé, de façon réitérée, de multiples faits inexistants de harcèlement moral, sans fournir d’éléments précis, ses accusations s’inscrivant dans une campagne de déstabilisation du supérieur et de l’employeur (cass. soc. 28 janvier 2015, n° 13-22378 D) ; - Salariée ayant adressé à son supérieur hiérarchique deux lettres lui imputant faussement des actes de harcèlement moral et ayant demandé, sur ce fondement, la résolution de son contrat de travail aux torts de l’employeur (cass. soc. 18 février 2003, n° 01-11734 D) ; - Salariée ayant dénoncé de façon mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le but de déstabiliser l’entreprise et de se débarrasser du cadre responsable de son département (cass. soc. 6 juin 2012, n° 10-28345, BC V n° 172). |
Mauvaise foi non établie |
- Cadre de haut niveau ayant, lors de l’entretien préalable à son licenciement, dénoncé les faits de harcèlement moral effectués par son supérieur hiérarchique qu’il considérait être à l’origine de sa dépression (cass. soc. 10 mai 2012, n° 11-11916 D) ; - Salarié ayant porté des accusations graves et non fondées à l’égard de ses supérieurs hiérarchiques au risque de les voir confrontés à des poursuites pénales, afin d’amoindrir leur autorité sur les autres salariés (cass. soc. 27 octobre 2010, n° 08-44446 D) ; - Salariée ayant formulé des accusations de harcèlement sexuel et moral de la part de son supérieur hiérarchique par le biais d’un courrier adressé à son organisme de formation et d’une plainte classée sans suite (cass. soc. 22 février 2006, n° 03-43369 D) ; - Salarié ayant notamment accusé son employeur de harcèlement moral, allégations largement diffusées auprès de diverses autorités et organismes, la véracité de ses accusations n’ayant pas été démontrée (cass. soc. 13 juillet 2010, n° 09-41528 D). |