Cour de Cassation, Chambre sociale, du 5 mai 1993, 90-45.893, Inédit
N° de pourvoi
90-45893
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE,
a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Max X..., demeurant ... (Hauts-de-Seine),
en cassation d'un arrêt rendu le 28 septembre 1990 par la cour d'appel de Versailles (15e chambre sociale), au profit de l'Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC) des Hauts-de-Seine, dont le siège est ... (Hauts-de-Seine),
défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 mars 1993, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, M. Waquet, conseiller rapporteur, MM. Saintoyant, Lecante, Boittiaux, Carmet, Boubli, Le Roux-Cocheril, conseillers, Mme Beraudo, MM. Bonnet, Laurent-Atthalin, Mmes Pams-Tatu, Bignon, conseillers référendaires, M. Kessous, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Waquet, les observations de la SCP Rouvière et Boutet, avocat de M. X..., de Me Boullez, avocat de l'ASSEDIC des Hauts-de-Seine, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. Y..., engagé le 22 avril 1968 par l'ASSEDIC du Val-de-Marne, est passé le 1er août 1971 au service de l'ASSEDIC des Hauts-de-Seine ; qu'il s'est prétendu victime, depuis 1978, de brimades et vexations diverses de la part de son employeur ; qu'en 1985, il a saisi le juge des reférés pour obtenir paiement d'une retenue sur salaire et l'ASSEDIC ayant exigé de lui une justification de son déplacement au conseil de prud'hommes puis à la cour d'appel, M. X... a adressé, le 14 mai 1985, une lettre à un journal satirique par laquelle il communiquait les notes de service qu'il avait reçues et dénonçait le comportement de son directeur ; qu'il a, alors, été licencié pour faute grave par lettre du 28 juin 1985 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 28 septembre 1990) de l'avoir débouté de sa demande d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, alors que, selon le moyen, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions faisant valoir que la lettre recommandée avec accusé de réception adressée le vendredi 7 juin 1985 n'avait été présentée que le lundi 10 juin, pendant que le salarié était au travail, pour un entretien prévu pour le 13 juin, ce qui ne lui laissait pas un délai suffisant pour réfléchir à l'entretien et recourir éventuellement à l'assistance d'un membre du personnel ;
Mais attendu qu'en retenant qu'il n'était pas établi que le délai, dont le salarié avait disposé pour préparer sa défense, était insuffisant, la cour d'appel a répondu aux conclusions dont elle était saisie ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 122-9 du Code du travail ;
Attendu que la liberté d'expression des salariés, en dehors de l'entreprise, s'exerce pleinement sauf abus ;
Attendu que pour décider que M. X... avait commis une faute grave justifiant son licenciement sans indemnités, la cour d'appel énonce qu'il a adressé le 14 mai 1985 au journal "Le Canard enchaîné" une lettre, dont il a fait parvenir le lendemain une copie au directeur de l'UNEDIC, dans laquelle il stigmatise, photocopies de notes de service à l'appui, l'attitude de ses supérieurs qui lui réclament des justificatifs pour toute absence, même s'ils en connaissent le motif ; que le contenu de cette lettre et le choix du destinataire établissent la volonté de son auteur de ridiculiser sa hiérarchie, même si le but recherché n'était que de défendre ce qu'il estimait être ses droits ;
Attendu, cependant, que la lettre du 14 mai 1985, exclusive de tout terme méprisant ou injurieux, se borne à exprimer la protestation du salarié contre l'exigence, jugée excessive par lui, de justifications de ses absences par son employeur ; qu'en décidant que l'envoi de cette lettre à un journal caractérisait une faute grave, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnités de préavis et de congés payés sur préavis, de compléments de treizième et de quatorze mois sur préavis et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 28 septembre 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne l'ASSEDIC des Hauts-de-Seine, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Versailles, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du cinq mai mil neuf cent quatre vingt treize.