Vous êtes ici : Accueil / Outils /
Jurisprudence
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juillet 2020, 19-10.901, Inédit
N° de pourvoi 19-10901
ECLI:FR:CCASS:2020:SO00611

M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 juillet 2020




Rejet


M. SCHAMBER, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 611 F-D

Pourvoi n° S 19-10.901







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020

La société Masternaut, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° S 19-10.901 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. I... B..., domicilié [...] ,

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Masternaut, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. B..., après débats en l'audience publique du 27 mai 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Mariette, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, Mme Grivel, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 novembre 2018), M. B... a été engagé à compter du 27 juillet 2006 en qualité de « Chief Technology Officer » par la société Webraska mobile technologies aux droits de laquelle vient la société Masternaut (la société).

2. Le contrat prévoyait une rémunération fixe annuelle brute de 110 000 euros et « une partie variable tant au titre d'objectifs individuels pouvant aller jusqu'à 10 % de sa rémunération fixe, que d'objectifs collectifs en tant que membre du comité de direction pouvant aller jusqu'à 20 % de sa rémunération fixe brute », l'attribution de cette dernière étant sujette à un ensemble de critères liés aux performances de l'entreprise définis par le conseil d'administration et son attribution devant faire l'objet d'un accord de ce conseil.

3. Un nouveau contrat de travail a été conclu le 26 décembre 2012 entre les parties aux termes duquel M. B... était engagé en qualité de directeur/professionnel services en position 3.3., coefficient 270, emploi relevant de la catégorie cadre, moyennant un salaire brut mensuel forfaitaire de 9 166,67 euros, calculé sur douze mois, complété par une rémunération variable en fonction d'objectifs définis annuellement.

4. Après avoir réclamé, par lettre du 22 décembre 2014, le paiement des primes des exercices 2006 à 2011, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour d'obtenir le paiement des dites primes puis par lettre du 10 mars 2015, a pris acte de la rupture de son contrat de travail en reprochant à son employeur de ne pas lui avoir versé la partie variable de sa rémunération pour les années 2009, 2010 et 2011.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié des sommes au titre de la rémunération variable due pour les années 2009, 2010 et 2011, au titre des congés payés afférents et au titre de la prime de vacances afférente, de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à payer des sommes au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de la prime de vacance afférente ainsi qu'au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de lui ordonner le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant au salarié du jour de la rupture du contrat de travail au jour de l'arrêt, et ce à concurrence de six mois d'indemnités, de lui ordonner de remettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif rectifié et les documents de rupture rectifiés conformément aux dispositions de l'arrêt, et de la débouter de sa demande en paiement au titre du préavis non-exécuté, alors :

« 1°/ que le contrat de travail peut prévoir, en plus de la rémunération fixe, l'attribution d'une prime laissée à la libre appréciation de l'employeur ; que le seul fait de prévoir dans le contrat de travail un complément de rémunération variable ne suffit pas à le rendre obligatoire s'il est expressément prévu que celui-ci présente un caractère discrétionnaire ; qu'en l'espèce, selon les propres constatations de l'arrêt attaqué, le contrat de travail liant la société Masternaut à M. B... stipulait que l'attribution d'une partie de sa rémunération variable en tant que membre du comité de direction « sera sujette à un ensemble de critères liés aux performances de l'entreprise (prise de commandes nouvelles, niveau du chiffre d'affaires, respect des prévisions de trésorerie) définis par le conseil d'administration. Toute attribution devra en conséquence faire l'objet d'un accord du conseil d'administration » ; qu'il résulte des termes clairs et précis de ces stipulations contractuelles que ce complément de rémunération relève de la volonté discrétionnaire du conseil d'administration, d'après des critères dont la définition dépend tout autant de son pouvoir discrétionnaire ; qu'en retenant que la rémunération variable assise sur des objectifs collectifs n'était pas à la discrétion de l'employeur dès lors qu'elle était prévue par le contrat, de telle sorte que la société Masternaut était tenue de procéder à son paiement quand bien même le conseil d'administration n'avait pas fixé les modalités de calcul pour les années considérées et n'avait pas donné son accord, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat et a violé l'article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du civil en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que l'employeur ne commet aucun manquement en ne payant pas un complément de rémunération variable qui présente un caractère discrétionnaire ; qu'en l'espèce, la clause du contrat de travail prévoyant qu'une partie de la rémunération était assise sur des objectifs collectifs était subordonnée à sa qualité de membre du comité de direction, à la fixation des modalités de calcul par le conseil d'administration en fonction de sa propre appréciation sur les performances de l'entreprise et, surtout, à son autorisation ; qu'il résultait de cette définition que la rémunération variable du salarié en raison de sa qualité de membre du comité de direction présentait un caractère discrétionnaire ; qu'en considérant qu'elle avait commis une faute dans l'exécution du contrat de travail en ne payant pas au salarié cette partie variable de sa rémunération pour les exercices 2009 à 2011, nonobstant son caractère discrétionnaire, et en jugeant que le salarié était fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail en raison de ce manquement, la cour d'appel a violé les articles L.1221-1 et L. 1231-1 du code du travail ;

3°/ que la prise d'acte de la rupture ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail ; que l'existence d'un tel manquement n'est pas caractérisée lorsque le salarié, qui avait pleine connaissance du manquement en question, a continué à travailler dans l'entreprise plusieurs années sans formuler la moindre réclamation à ce sujet ; qu'en jugeant que la prise d'acte du 10 mars 2015 du salarié était justifiée, la cour d'appel a estimé que le manquement imputé à l'employeur était « suffisamment important pour empêcher la poursuite du contrat de travail » et ce « quand bien même le contrat de travail s'est poursuivi pendant plusieurs années après que les rémunérations dues au salarié sont devenues exigibles », cependant qu'elle avait relevé que le salarié avait continué à travailler dans l'entreprise plus de trois années après l'exigibilité de la dernière prime, ce dont il résultait que le manquement qui lui était reproché n'avait pas rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 1221-1, L. 1222-1 et L. 1231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Ayant d'abord constaté que le contrat de travail prévoyait en plus de la rémunération fixe annuelle, l'attribution d'une rémunération variable tant au titre d'objectifs individuels que d'objectifs collectifs en fonction de critères liés aux performances de l'entreprise et définis par le conseil d'administration, la cour d'appel, sans commettre la dénaturation alléguée, n'a fait qu'appliquer la clause du contrat en retenant que le versement de cette part variable était obligatoire quand bien même les critères et objectifs permettant d'en déterminer le montant étaient définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction.

8. Elle a ensuite relevé, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que l'employeur avait manqué à ses obligations en s'abstenant de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable et de payer à son salarié le salaire ainsi convenu, que ce manquement avait persisté jusqu'à la rupture, l'employeur s'étant abstenu d'acquitter sa dette pendant plusieurs années après que les rémunérations dues au salarié étaient devenues exigibles, et a pu en déduire que les manquements invoqués par le salarié étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Masternaut aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Masternaut et la condamne à payer à M. B... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Masternaut

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Masternaut à payer à M. B... les sommes de 99.816 euros bruts au titre de la rémunération variable due pour les années 2009, 2010 et 2011, 9.981 euros bruts au titre des congés payés y afférents et 998 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente, d'avoir dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. B... produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Masternaut à payer à M. B... les sommes de 98.000 euros bruts au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 36.873 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 3.687 euros bruts au titre des congés payés afférents, 368 euros bruts au titre de la prime de vacance afférente ainsi qu'à 36.340 euros bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, d'avoir ordonné le remboursement par la société Masternaut aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. B..., du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent arrêt, et ce à concurrence de six mois d'indemnités, d'avoir ordonné à la société Masternaut de remettre à M. B... un bulletin de paie récapitulatif rectifié et les documents de rupture rectifiés conformément aux dispositions du code du présent arrêt, et d'avoir débouté la société Masternaut de sa demande en paiement au titre du préavis non-exécuté ;

AUX MOTIFS QUE « Sur les rappels de salaires : (
) ; Quant au bien-fondé de la demande (
) ; Selon le contrat de travail conclu le 29 mai 2006, opposable par M. B... à la société Masternaut, le salarié a droit au paiement d'une rémunération variable, ainsi définie : 'une partie variable tant au titre d'objectifs individuels pouvant aller jusqu'à 10% de sa rémunération fixe, que d'objectifs collectifs en tant que membre du Comité de direction pouvant aller jusqu'à 20% de sa rémunération fixe brute. L'attribution de cette dernière sera sujette à un ensemble de critères liés aux performances de l'entreprise (prise de commandes nouvelles, niveau du chiffre d'affaires, respect des prévisions de trésorerie) définis par le Conseil d'Administration. Toute attribution devra, en conséquence, faire l'objet d'un accord du Conseil d'Administration.' Il incombe à la société Masternaut qui soutient que le salarié a renoncé au bénéfice de sa rémunération d'en rapporter la preuve. Or, la renonciation de M. B... ne se déduit en l'espèce ni du fait que son employeur lui a financé une formation professionnelle, d'un coût au demeurant bien moindre que le montant du salaire auquel le salarié estime avoir droit, ni du contenu de l'échange intervenu entre le salarié et l'employeur selon courriers électroniques du 5 mars 2012 que la société verse aux débats, ni encore du silence conservé par l'une ou l'autre partie en ce qui concerne le paiement des parts variables en cause. La preuve de la renonciation de M. B... au paiement de la part variable de sa rémunération n'est donc pas rapportée. L'employeur, qui n'établit pas que le salarié serait de mauvaise foi, ne justifie pas avoir fixé au salarié des objectifs individuels pour les années 2009, 2010 et 2011, ni ne produit d'élément permettant de déterminer si les objectifs, à les supposer fixés, ont été atteints pour les années de référence. La rémunération variable assise sur les objectifs collectifs, dès lors qu'elle est prévue au contrat, n'est pas à la discrétion de l'employeur, qui ne peut priver le salarié de son droit à cette rémunération variable au motif qu'elle serait conditionnée à sa définition par le conseil d'administration et à l'accord de celui-ci. Là encore, il appartient à l'employeur de fixer les objectifs, et de produire les éléments permettant au salarié de vérifier si ces objectifs ont été ou non atteints. En l'espèce, l'employeur, qui ne peut se dispenser d'une obligation contractuelle de façon unilatérale en invoquant de prétendues difficultés économiques, ne justifie pas de la définition des objectifs collectifs par le conseil d'administration, La prétendue participation du salarié ne saurait valoir, à elle seule, acceptation de la suppression de cette part variable de rémunération contractuelle. En l'absence de fixation des objectifs par l'employeur, il appartient au juge de fixer la rémunération variable due au salarié en fonction des critères visés au contrat, des accords conclus les années précédentes, et des données de la cause. Au regard de ces éléments, la part de la rémunération variable due au salarié pour les années 2009, 2010 et 2011 doit être fixée à 99 816 euros bruts. La société sera donc condamnée au paiement de cette somme, outre 9 981 euros bruts au titre des congés payés afférents, et 998 euros bruts au titre de la prime de vacances. Les sommes de 99 816 euros bruts et 9 981 euros bruts porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation par le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, soit le 15 avril 2015, et la somme de 998 euros bruts portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'audience devant le dit conseil, soit le 12 décembre 2016, conformément aux articles 1231-6 et 1344-1, du code civil, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil. Sur la rupture du contrat de travail : (
) ; La lettre de rupture du contrat de travail est ainsi rédigée : ' Par la présente, je vous informe de ma décision de démissionner de la société à compter de ce jour, mardi 10 mars 2015 eu égard aux manquements dans l'exécution de mon contrat de travail en matière de rémunération. Toutes les tentatives amiables que j'ai faites pour que ma situation soit enfin régularisée s'étant heurtées à une fin de non-recevoir, je ne peux que prendre acte de la rupture de mon contrat de travail pour non-exécution de vos obligations contractuelles. A plusieurs reprises en effet, j'ai demandé verbalement à ma hiérarchie de bien vouloir reconsidérer le fait que, malgré la clause explicite de mon contrat de travail répartissant ma rémunération entre un salaire fixe et une partie variable de 30 % assise sur des objectifs, aucun objectif ne m'a été fixé pour les années 2009, 2010 et 2011. C'est ainsi pratiquement un an de salaire, c'est à dire près de 100.000 euros que je n'ai pas pu percevoir. Quand mon contrat de travail a été transféré à la société Masternaut, je me suis ouvert à nouveau à ma hiérarchie de cette situation mais, si des objectifs m'ont alors été fixés et des parts variables versées en conséquence, le passé n'a jamais été apuré. Aussi, lorsqu'on m'a proposé récemment une rupture conventionnelle, après que j'ai pu constater les nombreux départs de la société de cadres de direction, il ne pouvait pas être question pour moi de négocier ou de signer quoi que ce soit sans que soit enfin réglé cet arriéré pour lequel j'ai été plus que patient. J'ai alors demandé à mon Conseil d'intervenir auprès de la société mais il n'est pas parvenu à vous faire changer d'avis. Je me suis résolu à vous écrire officiellement le 22 décembre 2014 dernier pour poser une nouvelle fois le problème en le détaillant et en rapportant mes éléments de fait et de droit, espérant toujours, à défaut d'une réponse positive, une réelle prise en compte de votre part. Celle-ci n'a pas eu lieu. Je vous avais indiqué également dans ce courrier que je ne pourrai que saisir la juridiction compétente pour ne pas que les délais de prescription légale viennent faire disparaître ces sommes. La position de la société n'a pas changé pour autant. J'ai alors saisi le conseil des prud'hommes, espérant cette fois que cette saisine ou l'audience de conciliation amènerait la société à reconsidérer enfin la situation. Il n'en a rien été. Je me trouve donc aujourd'hui face à un déni de la réalité, à la fois humaine, professionnelle et juridique. Au-delà de l'arriéré financier, ce déni est déjà un manquement grave à une exécution loyale du contrat de travail. Je cesserai donc mes fonctions le mardi 10 mars 2015 au soir. (...)' La démission de M. B... étant motivée par des manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, elle constitue une prise d'acte. La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite de ce contrat. Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Le manquement doit être apprécié selon qu'il était ou non de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. En l'espèce, ainsi qu'il l'a été indiqué ci-dessus, l'employeur a manqué à ses obligations en s'abstenant de payer à son salarié le salaire convenu. Il en est résulté pour le salarié une perte de salaire de 99 816 euros, accessoires en sus. La mauvaise foi du salarié, invoquée par l'employeur, n'est pas démontrée. Un tel manquement, qui a persisté jusqu'à la rupture, l'employeur s'abstenant d'acquitter sa dette, quand bien même le contrat de travail s'est poursuivi pendant plusieurs années après que les rémunérations dues au salarié sont devenues exigibles, est suffisamment important pour empêcher la poursuite du contrat de travail, en sorte que M. B... était bien fondé à prendre acte de la rupture aux torts de son employeur. Sa prise d'acte produit en conséquence les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et le jugement du conseil de prud'hommes doit donc être infirmé. En application de l'article 15 de la convention collective, qui fixe la durée du préavis en cas de rupture du contrat de travail à trois mois, il sera alloué à M. B... la somme de 36 873 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celles de 3 687 euros bruts au titre des congés payés afférents et celle de 368 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente. En application de l'article 19 de cette même convention, il lui sera également alloué une indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 36 340 euros bruts. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation par le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, soit le 15 avril 2015, conformément aux articles 1231-6 et 1344-1 du code civil, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil. En vertu de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au litige, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire. Au vu des éléments d'appréciation dont dispose la cour, et notamment de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, de son parcours professionnel, de sa rémunération et de son âge, le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être évalué à 98 000 euros bruts. L'employeur sera condamné au paiement de cette somme, qui portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision, compte tenu de sa nature indemnitaire, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil. Par ailleurs, il y a lieu en application de l'article L.1235-4 du code du travail d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont le cas échéant versées à M. B..., du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent arrêt, et ce à concurrence de six mois d'indemnités. La société Masternaut est, quant à elle, déboutée de sa demande au titre du préavis non exécuté » ;

1. ALORS QUE le contrat de travail peut prévoir, en plus de la rémunération fixe, l'attribution d'une prime laissée à la libre appréciation de l'employeur ; que le seul fait de prévoir dans le contrat de travail un complément de rémunération variable ne suffit pas à le rendre obligatoire s'il est expressément prévu que celui-ci présente un caractère discrétionnaire ; qu'en l'espèce, selon les propres constatations de l'arrêt attaqué, le contrat de travail liant la société Masternaut à Monsieur B... stipulait que l'attribution d'une partie de sa rémunération variable en tant que membre du comité de direction « sera sujette à un ensemble de critères liés aux performances de l'entreprise (prise de commandes nouvelles, niveau du chiffre d'affaires, respect des prévisions de trésorerie) définis par le conseil d'administration. Toute attribution devra en conséquence faire l'objet d'un accord du conseil d'administration » ; qu'il résulte des termes clairs et précis de ces stipulations contractuelles que ce complément de rémunération relève de la volonté discrétionnaire du conseil d'administration, d'après des critères dont la définition dépend tout autant de son pouvoir discrétionnaire ; qu'en retenant que la rémunération variable assise sur des objectifs collectifs n'était pas à la discrétion de l'employeur dès lors qu'elle était prévue par le contrat, de telle sorte que la société Masternaut était tenue de procéder à son paiement quand bien même le conseil d'administration n'avait pas fixé les modalités de calcul pour les années considérées et n'avait pas donné son accord, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat et a violé les articles l'article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du civil en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2. ALORS QUE l'employeur ne commet aucun manquement en ne payant pas un complément de rémunération variable qui présente un caractère discrétionnaire ; qu'en l'espèce, la clause du contrat de travail prévoyant qu'une partie de la rémunération de Monsieur B... était assise sur des objectifs collectifs était subordonnée à sa qualité de membre du comité de direction, à la fixation des modalités de calcul par le conseil d'administration en fonction de sa propre appréciation sur les performances de l'entreprise et, surtout, à son autorisation ; qu'il résultait de cette définition que la rémunération variable du salarié en raison de sa qualité de membre du comité de direction présentait un caractère discrétionnaire ; qu'en considérant que la société Masternaut avait commis une faute dans l'exécution du contrat de travail en ne payant pas à Monsieur B... cette partie variable de sa rémunération pour les exercices 2009 à 2011, nonobstant son caractère discrétionnaire, et en jugeant que Monsieur B... était fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail en raison de ce manquement, la cour d'appel a violé les articles L.1221-1 et L.1231-1 du Code du travail ;

3. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la prise d'acte de la rupture ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail ; que l'existence d'un tel manquement n'est pas caractérisée lorsque le salarié, qui avait pleine connaissance du manquement en question, a continué à travailler dans l'entreprise plusieurs années sans formuler la moindre réclamation à ce sujet ; qu'en jugeant que la prise d'acte du 10 mars 2015 de Monsieur B... était justifiée, la cour d'appel a estimé que le manquement imputé à la société Masternaut était « suffisamment important pour empêcher la poursuite du contrat de travail » et ce « quand bien même le contrat de travail s'est poursuivi pendant plusieurs années après que les rémunérations dues au salarié sont devenues exigibles » (arrêt p. 9 al. 4), cependant qu'elle avait relevé que M. B... avait continué à travailler dans l'entreprise plus de trois années après l'exigibilité de la dernière prime, ce dont il résultait que le manquement reproché à la société Mastenaut n'avait pas rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L.1221-1, L.1222-1 et L.1231-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Masternaut à payer à Monsieur B... les sommes de 16.770 euros bruts au titre du solde de la rémunération variable due pour l'année 2014, 1.677 euros bruts au titre des congés payés afférents et 167 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le rappel de salaire sur la part variable 2014 : (
) ;
Le contrat de travail du 26 décembre 2012 prévoit, s'agissant de la rémunération variable, qu'elle 's'appuiera sur l'atteinte d'objectifs définis chaque année, à l'occasion des entretiens annuels qui seront, le cas échéant, revus lors d'entretiens professionnels en cours d'années, et emporteront l'accord exprès du salarié. Les primes variables sont en effet un des moyens par lequel la Société oriente sa politique stratégique en rémunérant ses salariés sur les résultats induits par les missions dirigées ou finalisées par ces derniers et sur leur contribution aux résultats de la Société. Il est d'ores et déjà établi que la prime variable du Salarié représentera 30%
du salaire fixe annuel brut pour 100% des objectifs réalisés durant la période de référence correspondante à l'année civile.' Le 18 mars 2014, lors de son entretien annuel de performance, les objectifs suivants ont été fixés à M. B... :


Libellé et plan d'actions
indicateurs de performance
pondération de l'objectif (%)
date cible


booking ACV - Prof
Services 2014
750 K ¤
50
01/02/2015


booking ACV - Sales France et Distrib 2014
12,254 M.¤
40
01/02/2015


introduction des nouveaux produits
faciliation, établissement de prix, offres packagées, réponse aux RFQ, présentations
10
01/02/2015


Lorsque le salarié a droit au paiement d'une rémunération variable selon des modalités déterminées par l'employeur, le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération variable a été effectué conformément aux modalités prévues. Lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, l'employeur doit rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation. En outre, il appartient à l'employeur de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié pour les années de référence ont été atteints. L'employeur verse aux débats le détail de l'évaluation chiffrée des atteintes des objectifs de M. B... (pièce n°23), pour justifier de ses dires. L'évaluation faite par le salarié lui-même de l'atteinte de ses objectifs ne constitue pas une preuve de ce qu'ils ont été réellement atteints, ou de ce qu'ils ne l'ont pas été. Dès lors, il est indifférent que M. B..., comme le souligne l'employeur, ait reconnu ne pas avoir atteint le chiffre de 100% d'objectif. Pour l'objectif 'booking ACV - Prof Services 2014" qui est un objectif chiffré, l'employeur conteste les données avancées par le salarié, mais ne produit pas lui-même d'éléments, notamment chiffré, établissant qu'il n'a pas été atteint. Le 'détail des projets facturés pour 2014" (pièce n°28) dont se prévaut l'employeur ne constitue pas un élément probant, dès lors qu'un objectif de 'booking' est différent d'un objectif de facturation. Pour l'objectif 'booking ACV - Sales France et Distrib 2014", également chiffré, il n'est pas fourni d'élément permettant de déterminer s'il a été atteint. Enfin, pour l'objectif 'introduction des nouveaux produits', qui n'est pas chiffré, il est retenu par l'employeur une performance de 61-80%, avec l'appréciation suivante ' bon travail sur le projet Migration', mais les éléments permettant de déterminer si l'objectif a été atteint au regard des indicateurs de performance fixés le 18 mars 2014 (facilitation, établissement de prix, offres packagées, réponse aux RFQ, présentations) ne sont pas fournis. Dès lors, il incombe à la cour de fixer le montant de la rémunération en fonction des critères convenus entre les parties et des éléments de la cause. Au vu de ces éléments, le montant total de la rémunération variable due à M. B... au titre de l'année 2014 est fixé à 33 600 euros bruts, soit un reliquat dû au salarié de 16 770 euros bruts, outre 1 677 euros bruts au titre des congés payés afférents, et 167 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'audience devant le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, soit le 12 décembre 2016, conformément aux articles 1231-6 et 1344-1, du code civil, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil » ;

ALORS QU'en matière prud'homale la preuve est libre ; que le juge ne peut refuser d'examiner une évaluation de réalisation d'objectifs régulièrement versée au débat au seul motif qu'elle a été réalisée par le salarié lui-même ; qu'au cas présent, pour démontrer que Monsieur B... n'avait pas atteint les objectifs fixés pour l'année 2014 et ne pouvait ainsi prétendre au montant total de sa rémunération variable pour cet exercice, la société Masternaut avait régulièrement versé aux débats l'évaluation de la réalisation de ses objectifs que Monsieur B... avait réalisée (conclusions exposante p. 17 à 21) ; qu'il résultait expressément de cette évaluation que Monsieur B... avait réalisé l'objectif de « Prof services » à hauteur de 61-80%, l'objectif de « Sales France » à hauteur de 41-60% et celui « d'introduction de nouveaux produits » à hauteur de 81-100% (production) ; que pour condamner la société Masternaut au versement du montant total de la rémunération variable au titre de l'année 2014, la cour d'appel a refusé d'apprécier la valeur probante de cet élément en énonçant que « l'évaluation faite par le salarié lui-même de l'atteinte de ses objectifs ne constitue pas une preuve de ce qu'ils ont été réellement atteints, ou de ce qu'ils ne l'ont pas été » (arrêt p. 11, al. 4) ; qu'en refusant d'apprécier la valeur probante de l'évaluation de l'atteinte des objectifs de l'année 2014, cependant que cette pièce avait été régulièrement versée aux débats, la cour d'appel a méconnu le principe selon lequel la preuve est libre en matière prud'homale, et a violé l'article L.1221-1 du code du travail.