LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2008) que M. X..., engagé le 2 mai 1989 par la société Sopra Group en qualité d'ingénieur, a été licencié le 13 septembre 2000 ;
Attendu que la société Sopra Group fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la condamner en conséquence à payer à M. X... une indemnité à ce titre et à rembourser à l'ASSEDIC les allocations chômage servies dans la limite de six mois, alors, selon le moyen :
1°/ que sont manifestement excessifs et caractérisent ainsi un abus de la liberté d'expression, les termes d'un tract diffusé par le salarié à la sortie de l'entreprise, qui, sans être directement diffamatoires ou insultants, mettent gravement en cause, en des termes acerbes et ironiques, les pratiques managériales de l'entreprise et reprochent notamment à celle-ci ainsi qu'à son président de bloquer volontairement l'évolution de carrière de ses salariés ; qu'en affirmant l'inverse, la cour d'appel a violé les articles L. 120-2 (L. 1121-1), L. 122-6 (L. 1234-1) et L. 122-8 (L. 1234-5) du code du travail ;
2°/ que caractérise nécessairement un abus de la liberté d'expression, le fait pour un salarié de distribuer, à la sortie de l'entreprise, éventuellement même à des personnes n'appartenant pas à celle-ci, un tract mettant gravement en cause, en des termes acerbes et ironiques, les pratiques managériales de l'entreprise et de sa direction ; qu'en affirmant qu'il n'était pas démontré que M. X... eût distribué le tract litigieux à la sortie de l'entreprise quand le salarié le reconnaissait lui-même dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige tels qu'ils étaient fixés par les conclusions respectives des parties, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
3°/ que l'employeur peut toujours se prévaloir de faits dont il a eu connaissance plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi ou répété dans ce délai ; qu'en se bornant à examiner le seul grief pris de la distribution d'un tract dénigrant l'entreprise et son président quand ce comportement n'était que la réitération, dans le délai de deux mois précédant l'engagement des poursuites disciplinaires, de faits antérieurs de même nature, invoqués par la lettre de licenciement et ayant consisté en l'envoi au président directeur général de la société de deux lettres qui outrepassaient déjà les limites de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 (ex L. 122-44) du code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, qui a relevé que les termes du tract établi et distribué par le salarié, s'ils étaient vifs, critiques et ironiques, n'étaient ni insultants ni diffamatoires et fait ressortir qu'ils n'étaient pas d'avantage excessifs, a pu décider, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, que l'intéressé n'avait pas abusé de la liberté d'expression, de sorte que son comportement n'était pas fautif ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel qui a retenu que le salarié n'avait commis aucun fait fautif dans le délai de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire et pendant celle-ci, a décidé à bon droit que les manquements antérieurs à ce délai reprochés au salarié étaient prescrits en application de l'article L. 1332-4 du code du travail ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sopra Group aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Sopra Group ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour la société Sopra Group
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Monsieur X... sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné la société SOPRA GROUP au paiement d'une somme de 40.000 à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à rembourser à l'ASSEDIC les allocations-chômage servies au salarié dans la limite de six mois d'indemnisation ;
AUX MOTIFS QU'il est reproché au salarié, outre un départ en formation en octobre 1999, sans avoir averti son employeur, une succession d'écrits insultants envers celui-ci, les derniers ayant été rendus publics ; que les poursuites disciplinaires ayant été engagées selon les deux parties le 18 août 2000, seuls les faits antérieurs de moins de deux mois à cet engagement pouvaient justifier un licenciement ; qu'il doit être constaté que les griefs datés de 1999 étaient couverts par la prescription au jour de l'engagement des poursuites disciplinaires, et qu'aucune des fautes reprochées n'est intervenue, ni n'a été portée à la connaissance de l'employeur pour la première fois, entre le 18 juin 2000 et le 18 août 2000; qu'au jour de l'engagement des poursuites, le licenciement envisagé n'était donc fondé sur aucun fait susceptible de le fonder ; qu'en revanche le derniers grief relatif à la distribution de tracts injurieux est relatif à des faits intervenus dans le cours de la procédure, le 25 août puis les 5 et 6 septembre 2000, et serait susceptible de justifier le licenciement postérieur quelle que soit la régularité de la procédure suivie ; que le tract en question, intitulé "Petite histoire (ordinaire,) d'un collaborateur SOPRA", relate l'histoire professionnelle personnelle de monsieur X... qui se désigne nommément, qu'il met en cause le dirigeant de la société traité de "béotien"incapable de deviner pourquoi ses collaborateurs restent au sein de la société, et stigmatise ses pratiques managériales, cela sur un mode amer et ironique ; que d'une part monsieur X... conteste avoir distribué ce tract aux lieux et temps de travail, et que la société SOPRA ne rapporte aucune preuve de ses affirmations sur ce point ; que d'autre part, si le ton du tract est vif, critique, et acerbe, il ne contient cependant pas de propos directement insultants ni injurieux, et que l'ensemble des critiques se rapportent à des comportements uniquement professionnels de l'employeur ; que la virulence relative des propos de monsieur X... est de surcroît à apprécier dans le contexte particulier qui était le sien à l'époque, soit en cours de procédure de licenciement, sans motif sérieux allégué, et cela alors que des courriers bien plus incisifs adressés les années précédentes à son employeur n'avaient donné lieu à aucune réaction de la part de celui-ci en termes de sanction disciplinaire ; qu'en conséquence il ne peut être retenu que ce tract a excédé les limites d'une liberté normale d'expression d'un salarié poursuivi disciplinairement, et ne constitue pas un fait fautif susceptible de fonder le licenciement ; qu'en l'absence de toute cause réelle et sérieuse à celui-ci, le jugement doit être infirmé ;
ALORS, D'UNE PART, QUE sont manifestement excessifs et caractérisent ainsi un abus de la liberté d'expression, les termes d'un tract diffusé par le salarié à la sortie de l'entreprise, qui, sans être directement diffamatoires ou insultants, mettent gravement en cause, en des termes acerbes et ironiques, les pratiques managériales de l'entreprise et reprochent notamment à celle-ci ainsi qu'à son Président de bloquer volontairement l'évolution de carrière de ses salariés ; qu'en affirmant l'inverse, la Cour d'appel a violé les articles L. 120-2 (L. 1121-1), L. 122-6 (L.1234-1) et L. 122-8 (L. 1234-5) du Code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE caractérise nécessairement un abus de la liberté d'expression, le fait pour un salarié de distribuer, à la sortie de l'entreprise, éventuellement même à des personnes n'appartenant pas à celle-ci, un tract mettant gravement en cause, en des termes acerbes et ironiques, les pratiques managériales de l'entreprise et de sa direction ; qu'en affirmant qu'il n'était pas démontré que Monsieur X... eût distribué le tract litigieux à la sortie de l'entreprise quand le salarié le reconnaissait lui-même dans ses conclusions d'appel, la Cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige tels qu'ils étaient fixés par les conclusions respectives des parties, a violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
ALORS, EN OUTRE, QUE l'employeur peut toujours se prévaloir de faits dont il a eu connaissance plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi ou répété dans ce délai ; qu'en se bornant à examiner le seul grief pris de la distribution d'un tract dénigrant l'entreprise et son Président quand ce comportement n'était que la réitération, dans le délai de deux mois précédant l'engagement des poursuites disciplinaires, de faits antérieurs de même nature, invoqués par la lettre de licenciement et ayant consisté en l'envoi au Président directeur général de la société de deux lettres qui outrepassaient déjà les limites de la liberté d'expression, la Cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 (ex L. 122-44) du Code du travail.