Management
Retour d'expérience sur le télétravail 3 ans après la crise covid
Sandrine Caillé
Human Transfo
https://human-transfo.com/
Sandrine Caillé, fondatrice de Human Transfo, accompagne les changements individuels et collectifs et rend accessible la complexité humaine. Consultante depuis 22 ans, elle permet d’atteindre les enjeux business en focalisant l’attention sur les comportements indispensables. Son approche du changement consiste à mobiliser à tous les niveaux hiérarchiques
Toutes les entreprises n'étaient pas confortables avec le télétravail il y a 3 ans. Dans l'urgence, elles ont mis en place un accord, des modalités compatibles avec les métiers, puis des 5 jours du 1er confinement, elles sont souvent passées à 2 à 3 jours par semaine. Cette crise a aussi accéléré une transformation des manières de travailler de façon incroyable. Le management s’est adapté, rapidement, parfois grâce à des formations à distance, avec de nouveaux rituels et outils permettant une animation collective.
Des gains certains mais aussi des inconvénients
Aborder le sujet des nouvelles façons de travailler depuis 2020 pour les salariés c'est parler de leurs gains que ce soit en temps de transport économisé ou en termes d’équilibre vie professionnelle et vie personnelle qui ouvre de nouvelles perspectives, comme la possibilité de récupérer ses enfants à la sortie de l’école ou plus tôt à la garderie, de faire du sport ou d’autres activités le midi ou en début de soirée. Pour les entreprises, découlent aussi de cette nouvelle organisation présentiel/distanciel des gains de productivité, surtout quand un travail d’analyse des activités réalisées au bureau et à la maison a pu être effectué de manière fine. En parallèle de ces avancées que l’on peut considérer « sociales », ces nouvelles modalités de travail ont accéléré une nouvelle appréhension de l’espace indispensable dans les locaux avec pas mal de réaménagements ainsi que l’usage de nouveaux outils collaboratifs. On pense d’abord à l’évolution de la qualité des visios puisqu’elles sont maintenant permises par nos ordinateurs portables alors qu’au début tout un équipement coûteux était nécessaire dans une salle spéciale. On pense aussi bien entendu aux suites office 365 et Google qui permettent de travailler à plusieurs sur le même document en instantané mais également à d’autres outils comme la prise de rendez-vous automatique via calendly ou encore Trello pour structurer le suivi notamment des prospects ou des projets ou encore Slack pour communiquer à plusieurs sur des thématiques définies à l’avance (ou d'autres produits choisis par l'entreprise).
Pourtant la généralisation du télétravail pose au moins deux problèmes. Le premier c'est d'avoir perdu des temps informels et la difficulté à voir certains collègues pour solutionner des sujets simples qui à distance deviennent vite compliqués. La plupart des managers ont défini une journée pour leur équipe où tout le monde est au bureau, pourtant lorsque l’on doit fonctionner avec d’autres équipes en mode projet, l’organisation des présences devient vite un casse-tête chinois. Le deuxième tient à la complexité de l’hybride. Tout le monde a expérimenté que des réunions complètement présentielles ou complètement à distance fonctionnent. En revanche, le mix des deux est vite problématique (notamment d’un point de vue technique, mais pas seulement).
Par ailleurs, la facilité de travailler n'importe où et tout le temps, renforce l’importance du droit à la déconnexion pour éviter d’augmenter le mal-être et la pression générée par la digitalisation et l’hyper-connexion.
À méditer Et les managers qu’ont-ils gagné de cette évolution ? Des collaborateurs plus engagés et plus heureux de revenir (de temps en temps au bureau). Attention toutefois car les collaborateurs sont parfois exigeants lorsque les dispositifs télétravail leur semblent trop contraignants et pas assez modernes. De plus, les managers peuvent eux-mêmes dorénavant s’autoriser à travailler sur des sujets de fond chez eux ou à prendre de la hauteur sur des situations (même si tous ne le font pas, certains choisissant de venir au bureau). Ils peuvent également prévoir des activités qui supposent de prendre du recul, de se sentir plus libres de leur propos (notamment leurs séances de coachings) ou pour des entretiens où la confidentialité est importante pour leurs interlocuteurs et eux. Et que penser du manager qui ne télétravaille jamais ? Attention car il suggère implicitement qu’il ne croit pas au télétravail et cela peut générer des tensions avec des personnes (son équipe notamment) qui y croient et le revendiquent. Peut-être peut-il alors s'en expliquer (ex. : son habitation ne s'y prête pas, son conjoint travaille à la maison).
Une adaptation du management
La question clé qui a très vite découlé du télétravail généralisé est rattachée à la notion de confiance. Il a fallu revenir aux basiques d’un manager qui exprime ses demandes (quoi) sans nécessairement contrôler la façon de faire (comment). Or, qui dit confiance, dit en fait autonomie et marge de manœuvre, marge de décision. Certains managers étaient déjà dans ce mode de management. Pour les autres, qui n'ont pas complètement réussi à évoluer sur ce sujet, on peut imaginer que le besoin de contrôle les empêche de faire vraiment confiance. Vient ensuite le sujet de l’accompagnement, notamment des plus juniors, des moins autonomes. Or, si on regarde de plus près, accompagner à distance est plus simple car un certain recul existe d’emblée. Le manager est alors plus incité à poser des questions, à essayer de comprendre ce qui a été fait et comment. Il peut plus naturellement aider à prendre du recul et à imaginer d’autres manières de faire qui seraient plus efficaces. D’autres préfèrent cependant continuer d’accompagner par petites touches en présentiel.
À FAIRE Le manager à distance est un manager leader qui donne du sens et reprécise les enjeux pour mobiliser. C'est aussi un manager coach qui s’intéresse, pose des questions et aide à réfléchir aux problèmes rencontrés pour faire grandir et permettre à ses collaborateurs de trouver eux-mêmes des solutions. Enfin, c’est un manager responsabilisant qui reste présent et veille à ce que l’autonomie ne crée pas de situations de sur-stress.
Vers la négociation de nouveaux accords
Certains DRH envisagent de revoir les accords de télétravail, négociés dans l’urgence pour faire face à la situation, afin de les ajuster à partir des constats de ce qui fonctionne bien et de ce qui pourrait être amélioré (idem en cas de charte unilatérale).
Une certaine souplesse est attendue et les critiques les plus fréquentes portent sur une certaine rigidité quant à la possibilité de se déclarer en télétravail à la dernière minute. On reproche parfois aux RH de donner un cadre trop rigide. Pourtant, le télétravail ne doit pas être n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment. Certes des situations particulières (grèves, enfants malades, enseignants absents, rendez-vous médicaux…) donnent envie d’opter pour la souplesse du travail à la maison ; toutefois le rôle du manager est de s’assurer que les conditions d’un travail qualitatif sont possibles. En effet, par exemple, il a été constaté que télétravailler avec des enfants en bas âge est compliqué et suppose souvent des horaires décalés qui s'articulent mal avec le travail d'équipe. Et puis travailler à distance s'anticipe pour avoir son ordinateur professionnel et accéder à certains outils ou documents partagés.
En dehors des tâches à réaliser, le souhait de télétravailler est une question très personnelle qui dépend de caractéristiques géographiques (plus le temps de transport est important plus la pertinence de gagner du temps fait sens), familiales (même si travailler avec son conjoint permet de mieux comprendre ce qu’il vit et ce qu’il fait, cela peut aussi vite devenir un enfer), d’habitat (pas seulement dans un contexte de recherche d’économies énergétiques, la question du confort à la maison se pose) et d’autres caractéristiques comme le besoin de se sentir en lien. De cette équation personnelle complexe, découle pour certains la perception que télétravailler serait une contrainte et préfèrent venir au bureau. Et à l’inverse, l’idée d’un 100 % télétravail fait rêver certains qui ne voient pas l’intérêt de venir au bureau.
Très vite, bon nombre d’observateurs des tendances ont été convaincus qu’un retour en arrière ne serait pas envisageable. En effet, après trois années d’expérimentation de nouvelles conditions de travail, le télétravail et le travail hybride sont devenus la nouvelle norme et ne pas en tenir compte constitue un risque de se marginaliser. Or, dans le contexte actuel de forte tension sur les ressources humaines et de difficulté de recrutement, un tel positionnement coûterait cher. Plus que jamais l’organisation du travail fait partie intégrante du processus de décision des candidats qui ne sont pas prêts à renoncer à cette plus grande liberté et ne comprennent pas dès que le télétravail est trop restrictif à leurs yeux. Pour continuer de se moderniser et rester dans l’air du temps les entreprises, et donc les managers en coordination avec les équipes RH, doivent faire le bilan de ces trois ans, définir les principes pour les années à venir et savoir les faire évoluer.